La vie en tranches

La vie en tranches
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Samedi 2 juillet 2016

trojan-horse

Les mauvaises nouvelles ont récemment déferlé sur le Royaume-Uni – aussi bien politiques qu’économiques ou météorologiques.

Alors quand j’ai vu le médecin cette semaine pour ma première consultation depuis la fin de ma radiothérapie, suite à la récidive de mon cancer de la prostate, je redoutais une autre avalanche de mauvaises nouvelles.

Mais en fait, elles furent plutôt encourageantes.

L’analyse de sang montre que la radiothérapie a eu un effet certain. Le taux de PSA, le marqueur que l’on utilise pour détecter la présence de cellules cancéreuses, a chuté de près de 90% (pour ceux qui aiment les chiffres précis, il est passé de 0,259 ng/ml à 0,028 ng/ml).

Jusqu’ici, tout va bien.

C’est donc reparti pour le jeu de patience – en attendant un autre contrôle dans trois mois pour vérifier le taux de PSA. Ce que nous espérons, c’est qu’il reste stable ou même diminue encore.

Je ne vous cache pas que c’est parfois assez pénible (pour ma partenaire et moi-même) de vivre la vie en tranches de trois mois – d’autant plus que nous sommes déjà passés par là !

Après la chirurgie pour enlever ma prostate cancéreuse en janvier 2015, mon PSA a brutalement chuté de 18,96 à 0,05. Mais, neuf mois plus tard, il avait recommencé à grimper et je me préparais à subir un nouveau traitement.

Vous comprenez donc pourquoi je n’ai pas vraiment envie de faire la fête !

L’hémisphère du cerveau qui gouverne la raison dit que la seule réponse rationnelle c’est de garder son calme et d’aller de l’avant. L’inquiétude ne vous sera vraiment d’aucune aide. Profitez donc du moment présent. Buvez une grande gorgée au calice de la vie et savourez-la.

Mais dans les recoins les plus sombres de votre esprit les diablotins de l’incertitude sèment la gangrène. A la moindre occasion, ils vont se ruer au dehors et s’exhiber comme des satyres démoniaques. Ces démons du doute peuvent aussi parfois s’avérer de sadiques petites bestioles.

Ils attendent que vous soyez fatigué ou absorbé par un travail délicat avant de faire surface et de commencer à vous harceler avec leurs pointes d’anxiété bien aiguisées.

Malheureusement, plus je traverse le pays de l’incertitude et plus les démons paraissent intelligents. Ils ont progressé depuis les tout premiers jours où ils se contentaient de proférer des propos incohérents sur une mort imminente.

Ils se permettent à présent de vous rappeler à coups de chuchotements toxiques ce qui est déjà arrivé. Ils insistent sur le fait que cela va se reproduire et énumèrent avec allégresse les terribles effets secondaires de l’hormonothérapie que les médecins vous inciteront à entreprendre en tout dernier recours.

Leur dernière ruse est une technique apparentée au cheval de Troie. Ils trouvent une naïve licorne pleine de vie, au milieu d’un rêve sans aucun rapport avec le cancer, et l’encouragent d’un sourire à s’ébattre dans votre paysage onirique avec de superbes couleurs. En 3D et avec un super son dolby digital 5.1. L’expérience semble si vivace que cela vous réveille à moitié.

« Voilà un rêve vraiment exaltant, » vous dites-vous dans un étrange état de semi-conscience.

Et c’est à ce moment-là que les petits diables du doute ouvrent la porte sur le côté du rêve Licorne et se ruent à l’intérieur pour semer la terreur dans votre esprit à demi-conscient et sans défense.

Mais maintenant je sais comment riposter. L’astuce, c’est de se réveiller, de se lever, même si on se sent totalement épuisé, et de se mettre à lire.

Au début, les mots s’écoulent dans votre cerveau comme un charabia dénué de sens. C’est comme essayer de déclamer de la poésie à une classe d’adolescents blasés et indisciplinés.

Il faut parfois relire la même page trois ou quatre fois mais les jeunes démons finissent par réaliser que vous les ignorez et ils commencent alors à s’éloigner pour chercher quelqu’un d’autre à tourmenter.

Et puis l’aube pointe son nez et tout s’arrête. Vous vous retrouvez alors avec une sorte de gueule de bois psychologique alors que toutes les petites mais douloureuses blessures laissées par les démons du doute commencent à cicatriser.

Comme avec une gueule de bois classique, cela vous rend irritable et de mauvaise compagnie. Si c’est plus comme une énorme cuite, cela peut même prendre plusieurs jours mais cela finit toujours par passer.

Vous êtes alors prêt à boire une nouvelle fois au calice de la vie. Le paysage politique morose lui donne un goût prononcé assez amer mais heureusement pour moi, je suis assez friand des saveurs amères un peu fortes.

La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie !

Question de temps

Dimanche 29 mai

metronome

Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu une aversion pour les pendules au bruyant tic-tac.

Certains se trouvent transportés dans un voyage à travers le temps et la mémoire par une saveur ou une odeur particulière. Proust avait sa Madeleine trempée dans du thé. Pour beaucoup d’entre nous, un air de musique suffit à nous replonger à un moment et un endroit précis.

Pour moi, c’est le son d’une horloge au tic-tac lent.

Cela me ramène dans le salon baigné de soleil de l’appartement de mes grands-parents, à Caen, en Normandie. Mais ce n’est pas vraiment un souvenir agréable. Cela me fait revivre la sensation très précise d’un état émotionnel intense – un sentiment d’ennui et de frustration. Comme l’impression d’être bloqué dans l’infinité du temps – et de l’attente, de l’attente sans fin.

Nous venons juste de déjeuner. C’est dimanche. Quelque part dans l’appartement spacieux, mes grands-parents se reposent. Dehors, il fait un soleil radieux mais la ville semble morte avec cette morosité si typique des villes provinciales françaises, le dimanche après-midi.

Sur un buffet, une horloge de marbre noir massif, marque le temps sans relâche. Je reste assis là, souhaitant que le tic-tac s’accélère afin que ce temps mort passe rapidement, que cette plage d’ennui se termine et qu’il se passe enfin quelque chose, que le monde bouge.

Alors que j’écris ces mots, dans le calme d’un dimanche matin morne à Paris, quelques 50 ans plus tard, j’entends un autre tic-tac, léger mais lancinant. Aujourd’hui le temps ne me paraît pas infini. Aujourd’hui, l’horloge semble décompter les heures.

Elle décompte les secondes, les minutes, les jours, les semaines jusqu’à la première prise de sang, celle qui pourrait éventuellement indiquer que la progression du cancer a été ralentie, voire stoppée.

Mais malheureusement, l’horloge se remettra alors en marche jusqu’au prochain test, jusqu’au prochain verdict. En tant que survivant du cancer, vous ne pouvez jamais être acquitté. Le verdict se résume toujours au sibyllin « preuves insuffisantes ».

Et pourtant l’horloge continue de tourner, décomptant minute après minute, le degré de diminution de mes facultés. Chaque tic-tac semble narguer mes espoirs de plus en plus désespérés que les effets de la radiothérapie s’estompent, que le processus de déclin décadent puisse encore être inversé.

Bien sûr, l’horloge tourne pour nous tous – nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, l’objet d’un compte à rebours. Mais la plupart d’entre nous, la plupart du temps, ne l’entendent pas ou ne l’écoutent pas. Pour un survivant du cancer, il est plus difficile de l’ignorer.

Comme je l’ai déjà expliqué, je ne suis pas proche de la religion, mais je découvre que je développe une valorisation croissante de la foi – j’entends par là la capacité à croire que quelque chose est vrai, même lorsque les sensations et les preuves, telles qu’elles apparaissent, ne cessent de murmurer dans le creux de votre oreille que vous vous trompez.

Mais une preuve est une preuve, n’est-ce pas ? Les faits peuvent être vérifiés.

Malheureusement, au pays de l’incertitude, les choses ne sont pas aussi simples. La vérité, tout comme la beauté, se trouve dans l’œil du spectateur – aussi trouble et peu fiable qu’elle puisse être.

C’est un sublime paradoxe.

La foi et son frère jumeau, l’espoir, seraient en ce moment des compagnons appréciables. Si je pouvais croire un peu plus, alors j’aurais la foi. Si j’étais un peu plus optimiste, alors j’aurais l’espoir.

C’est un peu comme cette vieille blague de la prière : « Mon Dieu, donne-moi la patience – mais donne-la moi tout de suite ! »

Je suppose que la seule solution, c’est d’apprendre à accepter le tic-tac inexorable mais de l’interpréter d’une manière différente. En fait, ce n’est pas un décompte, c’est juste une façon de compter. Chaque tic-tac permet de cocher un nouveau jour sur le calendrier. Un jour nouveau à apprécier, à savourer.

Le tic-tac de l’horloge marque simplement le rythme incontournable de la subtile danse de la vie. Et tout est toujours mieux quand on est dans le rythme.

360 minutes

360 minutes

Mercredi 11 mai Séance n°33

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Le blog d’aujourd’hui sera en deux parties. Ecrites à seulement 360 minutes d’intervalle mais appartenant à deux mondes bien différents.

16 h

headwind

On m’avait bien prévenu, mais je ne m’attendais pas à ce que ça arrive aujourd’hui.

Non, pas aujourd’hui, ce jour tant attendu, le jour de la 33ème et dernière séance de traitement.

Mais là, maintenant, assis dans la salle d’attente de la radiothérapie pour la dernière fois, je n’éprouve aucun sentiment de réussite, ni aucun soulagement.

La sensation enivrante de liberté anticipée hier me fait aujourd’hui défaut.

Pour l’instant, j’ai du mal à identifier mes sentiments alors que je suis assis là, étouffé par une chape oppressante de fatigue. Tout ce que je ressens c’est un sentiment de grand vide et de temps précieux gaspillé – à attendre, encore et toujours.

On m’a averti que la sensation de fatigue pouvait être à son comble après la fin du traitement.

On m’a mis en garde contre la dépression post-traitement – il arrive que l’on commence à ressentir une extrême faiblesse plusieurs semaines, voire des mois, après la radiothérapie.

Mais tous ces conseils (« Ne vous inquiétez pas, c’est tout à fait normal »), vous croyez que ça m’aide pour l’instant ? C’est plutôt le contraire !

Je pense que je vais arrêter d’écrire pour le moment – après tout, je suis toujours sur la route des rayons. Le temps peut changer rapidement.

22h

Victory

Je suis en train d’attendre le bus pour rentrer chez moi.

Six heures plus tard, après un double expresso (un plaisir rare étant donné l’état de mes entrailles), tout plein de commentaires, de sms et de mails fabuleux (merci beaucoup), ainsi qu’une multitude de messages de soutien de la part d’amis de Facebook (sachez que chaque « j’aime » me fait l’effet d’une piqûre revigorante), plus quelques verres de vin et une super conversation autour d’un délicieux dîner (merci Carol et Steve), le monde me semble un endroit beaucoup plus agréable à vivre.

Et c’est la vie d’un survivant du cancer.

Ne paniquez pas si vous vous retrouvez en train de pédaler avec un méchant vent de face et que vos jambes se dérobent. Puisez au fond de vos ressources, demandez qu’on vous aide et attendez que le vent tourne ou que la route fasse un virage.

Quelques mots d’encouragement, un changement de perspective, peuvent faire toute la différence.

D’accord, je suis en liberté conditionnelle mais je suis un homme libre.

Et ça fait un bien fou !

Allez-y, je suis prêt !

Allez-y, je suis prêt !

Mardi 10 mai Séance n°32 (plus qu’une !)

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prison door

Je viens de graver ma 32ème marque sur le mur.

Il ne reste plus qu’un seul lavement dans la boîte.

Demain, ils feront cliqueter leurs clés, puis déverrouilleront la serrure avec un bruit spécial, enchanteur, et je sortirai en clignant des yeux, légèrement étourdi, à la lumière du jour.

Vous pensez peut-être que j’exagère pour que l’on comprenne bien l’image mais je peux vous assurer que (pour une fois), ce n’est vraiment pas le cas.

Demain vers cinq heures, quand je vais terminer ma 33ème et dernière séance, je vais éprouver la même sensation que si j’étais libéré de prison.

Je vais être libre de reprendre le cours de ma vie, libre de voyager, libéré de toutes ces contraintes qui me rappellent quotidiennement mon traitement contre le cancer.

Et je suppose qu’à l’instar de tous les prisonniers sur le point d’être libérés, je suis partagé entre l’enthousiasme et un peu d’appréhension.

La vie à l’intérieur est contraignante et répétitive, mais vous savez quoi faire et où aller. Vous connaissez les rouages du système pour plaire aux gardiens ; vous savez comment marquer ces petites victoires importantes qui vous permettent de prendre momentanément le contrôle.

Là-bas, par-delà la route des rayons, au pays de l’incertitude, les choses sont plus compliquées. Les certitudes rassurantes de la route des rayons feront bientôt place aux vieilles angoisses inextricables. Quand dois-je faire le premier test? Quel en sera le résultat ? Est-ce que le traitement a été efficace ?

Je commence à percevoir la résurgence de toutes les anciennes obligations sur mon timing (merci à tous ceux qui ont été si merveilleusement patients).

Mais vous savez quoi ? Juché ici, sur la dernière crête de sable de la route des rayons, je déclare : « Allez-y, je suis prêt ! »

J’ai trop hâte de me jeter dans la mêlée. Je veux pouvoir disposer à nouveau de ces quatre heures dans ma journée, tous les jours de la semaine. Je souhaite retrouver le tohu-bohu du monde extérieur et revenir à une vie normale.

Même si je ne suis qu’en liberté conditionnelle, je veux être un homme libre.

La poursuite du voyage

La poursuite du voyage

Jeudi 5 mai Séance n°29 (plus que 4)

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On sent que l’on approche de la fin de ce long, très long voyage sur la route des rayons.

On commence à percevoir un changement subtil dans la qualité de la lumière et l’air n’a plus tout-à-fait la même odeur.

C’est un peu comme on sent que l’on s’approche de la côte bien avant de commencer à voir la mer.

Sauf que ce n’est pas l’iode des embruns marins que nous commençons à sentir. C’est quelque chose de beaucoup plus insolite.

Si vous avez déjà vécu ou travaillé à proximité d’une brasserie ou d’une raffinerie de pétrole, vous savez certainement le genre d’effluves auxquelles je fais allusion – par moments cela peut être presque agréable et le lendemain, vous allez trouver cela nauséabond.

C’est l’odeur du pays de l’incertitude.

Au cours de ces sept semaines où nous avons marché sur la route des rayons, la vie nous a paru d’une incroyable simplicité. On se lève tous les matins, on met ses chaussures et on marche. Les visites quotidiennes à l’hôpital deviennent fatigantes – parfois, cela peut paraître monotone et déprimant, mais au moins, on sait où on va et ce qu’on a à faire.

Nous savons maintenant que lorsque nous arriverons au sommet de cette dernière crête, juste devant nous, à l’extrémité de la route des rayons, nous découvrirons un nouveau paysage, totalement différent.

Mais nous avons l’habitude de voyager au pays de l’incertitude. Toute personne atteinte d’un cancer passe le plus clair de son temps à arpenter ce pays – un pays imprévisible, fait de sables mouvants et de brumes tourbillonnantes.

C’est un pays où l’on se déplace, à l’aveuglette, de test sanguin en test sanguin, d’un scanner à l’autre, de consultation en consultation.

Dans mon cas, il faudra attendre la fin du mois de juin avant de savoir si le traitement a été efficace.

Même quand Schwarzy aura tiré sa dernière salve, mercredi prochain, ses assauts radioactifs vont continuer à faire leur effet pendant plusieurs semaines. En fait, la radioactivité dans votre corps atteint son maximum après la fin du traitement avant de diminuer progressivement.

On m’a donc averti qu’à cause de cela, la sensation de fatigue risquait de connaître un pic au cours des deux semaines suivant la fin du traitement.

Plus tard, quand la biochimie sanguine sera stabilisée, viendra le moment de faire le premier test PSA et d’affronter la première consultation post radiothérapie pour entendre « Le Verdict ».

Je suis résolument convaincu que ce verdict sera positif.

Et puis commencera le jeu de l’attente. Trois mois, si j’ai la baraka, un mois, si jamais il y a un doute.

Plus on se rapproche du prochain test plus l’incertitude va augmenter. Et l’on regagnera la confiance à hauteur du nombre de bons résultats consécutifs que l’on réussira à aligner.

Mais il suffit d’un seul mauvais résultat pour que tout s’écroule et que l’on se voit relégué dans la zone de la peur et de l’anxiété.

Je me souviens encore, avec la boule au ventre, de la sensation odieuse que j’ai éprouvée à l’automne dernier, neuf mois après ma prostatectomie, quand mon taux de PSA est soudain monté en flèche.

Mais je fais confiance à Schwarzy. C’est une machine à tuer sans états d’âme. Je sais qu’il va traquer chacune de ces maudites cellules cancéreuses jusqu’à la dernière et les exploser avec son fusil à pompe de la mort.

On ne peut pas lui échapper.

Nous vivons tous avec une certaine dose d’incertitude. La différence, c’est que nous, les survivants du cancer, nous en sommes peut-être plus conscients que les autres.

Mais dans un sens, et c’est là le paradoxe, nous avons en fait une certaine chance. Nous ne nous leurrons pas à chercher une certitude dans les possessions matérielles ou les croyances dogmatiques.

Nous adoptons l’incertitude et nous apprenons aussi à savourer son odeur particulière. Nous ne prenons rien pour acquis. Nous apprécions chaque journée, au jour le jour.

Nous buvons le calice doré de la vie, puis nous le posons avec fracas sur la table et réclamons qu’on nous le remplisse encore.

Et c’est fou comme c’est bon !

Il était deux fois…

Il était deux fois…

Lundi 2 mai   Jour férié

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Pas de traitement aujourd’hui non plus car c’est un jour férié.
Alors le blog d’aujourd’hui est de nouveau rédigé par ma compagne française qui me suit, étape par étape, dans ce voyage jusqu’au bout des rayons.

UNE FOIS

Tout au long de notre vie, on nous enseigne que l’on a droit qu’à une seule chance.

« Vous n’aurez jamais une deuxième chance de faire une première bonne impression. » (David Swanson)

« Dans la vie, on ne peut pas revenir sur ses pas, ni revenir en arrière. Il n’y a pas de deuxième chance. » (Daphné du Maurier)

« Tu n’auras pas de deuxième chance. La vie n’est pas un jeu Nintendo. » (Eminem)

Etc.

Nous vivons dans le culte de la performance où l’on doit donc toujours s’efforcer de faire de son mieux, dès la première fois.

C’est aussi ce que la plupart des gens pensent au sujet du cancer de la prostate. On ne peut l’avoir qu’une fois ! Si seulement c’était vrai !

Dans notre cas, cela ne s’applique pas du tout. Pour ceux qui l’ignorent encore, nous nous sommes connus il y a très longtemps, bien avant les ordinateurs et autres smart phones (mais la télévision existait déjà en couleur, quand même !). Puis nous avons vécu chacun une vie passionnante, comblée par deux enfants magnifiques (quatre en tout !). Nous nous sommes alors retrouvés au bout de 32 années. Nous avons donc eu la chance d’avoir plein de deuxièmes premières fois.
Et ils vécurent heureux et eurent plein de…

Ah ! C’est là que le bât blesse. Plein de quoi ?

Ça, c’était avant ! Avant l’annonce du cancer qui a un peu terni le conte de fées.

Là, nous sommes au cinéma en train d’assister à un double take. C’est une technique très intéressante (en français un plan doublé) qui consiste à voir une première fois un élément perturbateur sans le relever, à faire comme si de rien n’était et de continuer à avancer, puis subitement on réalise ce qu’on vient de voir et la caméra revient sur ses pas pour fixer l’objet une seconde fois et observer la réaction.

– Cette technique a été apparemment inventée ou utilisée pour la première fois par Stan Laurel, du célèbre duo Laurel et Hardy, dans une scène où Laurel tripote sa cravate. –

Là, il n’y a malheureusement rien de vraiment comique. L’œil de la caméra vient de nous faire réaliser que tout n’était peut-être pas aussi idyllique que ça en avait l’air. C’est un peu comme si le mot « cancer » clignotait maintenant au dessus de la tête des protagonistes. On se demande alors comment on a pu ne pas s’en rendre compte plus tôt ! Mais la réponse est simple, c’est parce que cela ne se voit pas. Ce serait merveilleux si l’on pouvait détecter un cancer de la prostate rien qu’en regardant, une fois, même deux fois, les hommes dans les yeux. Ce jour viendra peut-être mais pour l’instant, seul un test PSA permet de revenir sur la prise antérieure et de repérer cette saloperie chez un homme jeune, 100% asymptomatique.

Ensuite, et malheureusement, ce foutu cancer ne se gêne pas non plus pour réapparaître une deuxième fois, alors qu’on croyait s’en être définitivement débarrassé.

C’est triste, c’est rageant, c’est insupportable !

Et en plus, il va falloir sans cesse contrôler pour s’assurer qu’il est bien parti. Si on le pouvait, le mieux ce serait sûrement une caméra de surveillance. Une chance sur deux !!

Maintenant soyons pragmatiques. Quelle était la probabilité déjà de se rencontrer, en habitant deux pays différents, et de se voir offrir une deuxième chance au bout de 32 ans ? Une sur mille, sur dix mille, sur cent mille, sur un million ? Et pourtant…

Alors oui, on peut y croire ; une chance sur deux, cela paraît vraiment énorme et on est quasiment sûr de gagner.

On peut aussi donner un petit coup de pouce au destin. Par exemple, on peut couper des scènes au montage. Moi, je couperais bien toutes celles où l’on voit des gens souffrir. Mais je garderais les sourires des radiologues, toujours soucieux de votre bien-être. Et je rajouterais des rêves en couleur avec de la musique relaxante. Et des amis, pleins d’amis…

Cela commence à prendre forme.

J’ai souvent pensé que Jacques Brel parlait de nous quand il a écrit :

« Je te parlerai de ces amants-là
Qui ont vu deux fois leurs cœurs s’embraser ».

La chanson s’appelle « Ne me quitte pas » mais là, on a plutôt envie de dire « Quitte-moi, va-t-en, fous le camp ! » Et le plus tôt sera le mieux !

Alors dans le scénario, on retrouve les héros un peu plus tard. Ils ont peut-être deux fois plus de rides mais s’aiment probablement deux fois plus fort et surtout, ils ont triomphé de ce crabe de malheur.

Il paraît que le facteur sonne toujours deux fois. Malheureusement, souvent, le cancer aussi. Mais nous ferons tout pour que ce soit bien la dernière…

Et de toute façon, nous n’avons prévu qu’une seule fin pour ce film et c’est un « Happy Ending » !

La politique de l’autruche ?

La politique de l’autruche ?

Vendredi 29 avril Séance n°26 (plus que 7)

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Il y a une nouvelle campagne de publicité qui passe en ce moment au Royaume-Uni pour essayer de sensibiliser les hommes sur le risque de cancer de la prostate.

Je ne suis pas super fan du spot, mais l’essentiel du message passe quand même.

Faire semblant d’ignorer le risque de cancer de la prostate ne le fera pas disparaître et cela pourrait même rendre les choses pire, bien pire.

Je comprends que cela puisse sembler assez « gonflé » venant de quelqu’un qui vient juste de terminer une semaine de radiothérapie particulièrement éprouvante.

N’aurait-il pas été préférable de laisser faire les choses et d’éviter ce traitement de cheval ?

La réponse est « Non » – avec un gros N majuscule.

La fatigue physique et psychologique que j’ai éprouvée cette semaine (et vous serez heureux d’apprendre que je la gère à présent beaucoup mieux) n’est vraiment rien à côté de ce qui aurait pu m’arriver si je n’avais pas fait de test, ni subi de traitement.

Laissez-moi vous expliquer cela un peu plus en détail – ne zappez pas, je vais tâcher de faire aussi court que possible.

Les cancers de la prostate sont classés en 4 stades (plus d’infos ici et les informations détaillées – en anglais)

Environ 90% des hommes diagnostiqués à un stade 1 ou 2 ont une espérance de vie d’au moins cinq ans et 65 à 90% d’entre eux vivront au moins 10 ans de plus.

(J’ai été diagnostiqué à 55 ans avec un cancer de la prostate de stade 2)

Si vous êtes diagnostiqué avec un cancer de stade 3, vous avez 70 à 80% d’espérance de vie au-delà de cinq ans.

Si vous êtes diagnostiqué lorsque votre cancer a atteint le stade 4, vous n’avez plus que 30% de chance de survivre au moins cinq ans.

Je suppose que vous voyez où je veux en venir !

C’est comme pour tous les cancers – plus vous attendez, plus le mal progresse et moindres sont les chances de pouvoir vous soigner.

Il est choquant de constater que 20 à 30% des cas ne sont pas diagnostiqués avant d’avoir atteint le stade 4.

Maintenant, oublions un peu les statistiques. Grâce à ce blog, j’ai pu faire connaissance en ligne avec un certain nombre d’hommes atteints du cancer de la prostate. Certaines de leurs histoires sont déchirantes. Le cancer de stade 4 n’est pas guérissable. A ce stade, tout ce que les médecins peuvent faire, c’est gagner du temps, mais pas plus.

Alors, écoutez-moi, même si vous ne présentez aucun symptôme (ce qui fut mon cas), demandez à votre médecin de vous prescrire une prise de sang pour un test PSA, en particulier si :

  • vous avez plus de 50 ans
  • vous êtes un homme de couleur
  • votre père ou votre frère a eu un cancer de la prostate
  • votre mère a eu un cancer du sein.

Et s’il y a un historique de cas de cancer de la prostate dans votre famille (c’est le cas de la mienne), vous devriez penser à faire ce test bien avant d’avoir 50 ans.

Je vous souhaite un bon week-end de trois jours. (NDT: en Angleterre, c’est le lundi 2 mai qui est férié !) Allez faire un parcours de golf avec vos amis (ou n’importe quelle autre activité qui vous branche) et puis la semaine prochaine, si vous êtes concernés par l’une de ces catégories, prenez rendez-vous avec votre médecin pour en parler.

Et moi ? Et bien, moi, je vais au cinéma.

Un peu de distraction !

Un peu de distraction !

Mardi 12 avril Séance n°14

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Vous ne trouvez pas que ce voyage est un peu long ?

L’enthousiasme du départ s’est un peu émoussé et l’excitation de l’éventuelle arrivée n’est encore qu’une perspective lointaine. Nous avons atteint la vitesse de croisière, marchant d’un bon rythme régulier, sans problème particulier à évoquer (à part ma concentration fluctuante).

Alors, que pourrions-nous faire pour nous divertir un peu ? Je sais, nous allons regarder un film. J’aime regarder des films pendant les longs trajets.

Mais qu’y a-t-il d’intéressant à voir ?

Que diriez-vous d’un film pour rester droit dans ses bottes comme le film de guerre classique The Cruel Sea (VF La Mer cruelle), réalisé par Charles Frend, d’après le roman de Nicholas Monsarrat ?


Je suis incapable de dire combien de fois j’ai regardé Jack Hawkins luttant contre les tempêtes de l’Atlantique et les sous-marins allemands pour mener les convois à bon port, mais je le regarde toujours avec le même plaisir. Pour moi Hawkins, dans le rôle du capitaine Ericson, incarne la détermination éclairée et téméraire – il a longtemps été l’un de mes héros favoris à l’écran.

Peut-être l’équipage de la Rose des Vents pourrait-il donner un coup de main à Schwarzy. Je les imagine en ce moment, naviguant de haut et en bas, scrutant la loge de ma prostate, jusqu’à ce que l’opérateur sonar s’écrie : « écho instantané, Capitaine » et ils s’empressent de larguer une nouvelle charge de grenades sous-marines juste au-dessus des cellules cancéreuses.

Sinon, je vous propose un film entre le rire et les larmes, comme About Time (VF Il était temps), réalisé par Richard Curtis ? (Pour afficher les sous-titres en français, cliquez sur l’icône « Paramètres » (juste à gauche du logo YouTube) puis cliquez sur « sous-titres » et sélectionnez français)

Le film irradie de chaleur, d’humanité et, en fait, d’amour.

Certaines des répliques sont inénarrables, Bill Nighy campe son personnage mieux que jamais et Domhnall Gleeson est merveilleux dans le rôle de son fils.

Mais j’aime par-dessus tout la scène finale du film, à l’évidence sentimentale, pour son incitation mémorable à profiter de chaque jour comme étant la seule façon de vivre notre vie. ( Pour afficher les sous-titres en français, cliquez sur l’icône « Paramètres » (juste à gauche du logo YouTube) puis cliquez sur « sous-titres » et sélectionnez français. )


Et finalement, je suggérerais un film beaucoup plus récent : Bridge of Spies (VF Le Pont des Espions) de Steven Spielberg, avec Tom Hanks et l’acteur phénoménal qu’est Mark Rylance.

Hanks joue James B Donovan, l’avocat d’assurances désigné pour défendre l’espion soviétique Rudolf Abel, joué par Rylance, après qu’il se soit fait coincer par les agents fédéraux.


C’est un film assez long mais qui se regarde avec plaisir et les 142 minutes passent très vite.

Ce que je garde vraiment du film, c’est juste une phrase qui revient à trois reprises.

À certains moments clés, Donovan demande à son client s’il n’est pas inquiet. La réponse d’Abel est toujours la même.
Le Pont des Espions – Réplique célèbre : « Est-ce que ça ferait avancer les choses ? »

Poussez-vous un peu, Jack Hawkins et le Capitaine Ericson – vous n’êtes pas seuls.

Où en étais-je ?

Où en étais-je ?

Lundi 11 avril Séance n°13

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Au moment d’aborder la quatrième semaine de traitement, je suis là, à essayer de me rappeler où j’en étais.

Ce n’est pas parce que j’ai du mal à me souvenir des blagues un peu stupides de vendredi dernier. C’est pire que cela.

Vous voyez, ma concentration semble partir en miettes. Bien sûr, il peut y avoir plusieurs explications à cela. C’est peut-être que je vieillis, que la vie devient de plus en plus compliquée, ou que la vie dans un univers entièrement connecté empêche de se concentrer correctement. Ou bien les trois en même temps.

Mais j’ai l’impression qu’il se produit également un autre phénomène. Vous voyez, je pense que la concentration fonctionne un peu comme l’audition.

Excusez-moi – je n’ai pas très bien compris ce que vous avez dit. Ah bon ? Désolé, c’est de ma faute.

Alors, où étions-nous ? Ah oui, la concentration et l’audition.

En fait, bien qu’il existe sûrement des descriptions physiologiques très précises de ce qui se passe ou devrait se produire dans notre cerveau quand on entend ou quand on écoute – pardon, quand on se concentre (!) – Je suis de plus en plus convaincu que ces deux fonctions sont aussi étroitement liées à nos émotions.

Vous entendez mieux ce que vous avez envie d’entendre. Plus vous serez détendu, meilleure sera votre concentration.

Depuis que j’ai appris que mon cancer était revenu, il y a des jours où je n’y ai vraiment pas pensé. Je vous assure que c’est vrai.

Mais à présent, le fait même de devoir venir tous les jours à l’hôpital, de m’asseoir dans cette salle d’attente tapissée de prospectus d’information, comportant tous dans le titre le mot cancer, puis de m’allonger sous le regard d’acier de Schwarzy pendant qu’il fait exploser un peu plus de mes cellules rebelles, oui je l’avoue, « surprise, surprise ! », je pense maintenant tous les jours au fait que j’ai un cancer.

Le plus étrange, c’est que je ne me sens pas vraiment stressé ou inquiet pour le moment. Au fond de moi, je sais que cela ne sert à rien. Il faut juste aller jusqu’au bout du traitement et voir quel sera le résultat des tests en temps utile. Mais c’est un artifice.

Je peux sentir les peurs irrationnelles embusquées juste à la lisière de ma conscience, comme des ombres indésirables dans une rue sombre de la ville, au cœur d’un quartier qui ne vous inspire pas confiance.

Garder ce genre de craintes sous contrôle, même inconsciemment, finit par avoir des conséquences.

C’est comme une de ces mises à jour exaspérantes ou ces anti-virus qui tournent en arrière-plan sur votre ordinateur. Vous ne pouvez pas voir ce qui se passe, mais c’est dingue comme tout devient lent ! Dans mon cas, cela touche surtout l’application qui gère la concentration.

Peut-être que je devrais penser à augmenter la capacité de mon cerveau !

Bête comme un Poisson d’Avril !

Bête comme un Poisson d’Avril !

April-1Vendredi 1er Avril Séance n°7

English version

Il n’y a rien de tel que d’être confronté à l’idée de sa propre mort pour vous appeler à reconsidérer ce que vous allez faire de votre vie.

Alors aujourd’hui, en dépit de la date, je dois dire la vérité et admettre que j’ai été stupide.

Mais je suppose que je ne suis pas le seul.

Mes expériences passées avec l’annonce de mon cancer, l’opération pour l’enlever, suivie d’une récidive, m’avaient déjà appris une chose ou deux.

Mais cet étrange voyage sur la route des rayons me donne une nouvelle perception de ma bêtise.

Continuons avec les métaphores itinérantes : le long de mon parcours, tout en progressant de façon régulière, j’ai fini par réaliser que le comble de la bêtise, c’est de se demander comment on en est arrivé là.

Vous êtes là où vous êtes.

Les regrets et les reproches (sans doute les deux sentiments les plus inutiles et les plus autodestructeurs de la part des êtres humains) ne vous mèneront nulle part.

Vous êtes au début de la route des rayons et vous devez continuer jusqu’au bout.

Rendre quelqu’un ou quelque chose responsable du fait d’avoir à faire ce voyage ne vous fera pas progresser d’un pouce vers votre destination.

Vous ne gagnerez rien non plus à regretter de ne pas avoir pris une autre route, qui aurait pu ou pas vous mener aux confins de ce pays, paradoxalement source d’inspiration.

Bêtement, j’ai toujours cru qu’il était indispensable de savoir exactement où l’on va et ce que l’on va trouver en arrivant. Je croyais bêtement qu’il fallait se dépêcher d’arriver, par la route la plus directe et surtout (oh, stupidité de toutes les stupidités !), d’arriver à l’heure.

Quelle bêtise !

L’essentiel dans tout ça, c’est de savoir comment on y va.

Vous pouvez me prendre pour un fou, mais je crois à présent que chaque voyage, chaque journée a quelque chose à offrir.

Ne vous inquiétez pas si vous ne savez pas trop où vous allez, ni quand vous arriverez, ni ce qui vous attend là-bas.

Jouissez du paysage. Délectez-vous du parcours. Sachez apprécier la présence de vos compagnons de voyage et la générosité des gens qui vous encouragent sur votre route.

Carpe Diem. Profitez de la vie au jour le jour, même le premier avril.